Ce dossier est le résultat d’observations réalisées lors d'une enquête ethnographique, qui avait pour but d’étudier l’impact du port du masque rendu obligatoire pour les plus de 6 ans du fait de la pandémie actuelle sur les enfants. Ce sujet d’étude a pour origine plusieurs articles qui expliquaient que le port du masque pouvait avoir des effets nocifs sur le développement des enfants, créer des difficultés dans les rapports humains : ils sont privés de l’observation de l’expression des sentiments des adultes masqués et peuvent être empêchés de les reproduire, ce qui pourrait être problématique dans leur vie d’adulte. Nous avons donc décidé d’étudier l’impact du masque dans le développement des enfants entre 0 et 6 ans. Nous estimions que cette période d’âge, chez les enfants, était la plus précise pour analyser le développement. Nous n’avons pas pu faire d’observations en crèche, donc nos observations se sont faites uniquement en école maternelle. Les enfants ne sont pas concernés par le port du masque en école maternelle, en revanche, les institutrices et les instituteurs le sont et doivent de plus respecter la distanciation sociale. Nous avons donc décidé d’axer nos recherches sur la perception que les enfants ont du masque et des différences ou non que le fait de ne voir que le haut du visage de leurs professeurs peut induire.
Alors que nous nous attendions à observer de vraies différences sur le développement des élèves entre cette année et les précédentes, comme le prédisait les articles, il n’y a finalement pas eu de grands changements sur ce point précis, mais nous avons pu étudier un grand nombre de petits changements qui sont apparus depuis la crise sanitaire et le confinement.
Nous avons aussi interrogé des professionnels de la santé, une orthophoniste et une neuropédiatre, sur les différences qu’elles auraient pu observer sur le développement des enfants.
Dana Al Subaihi
Lucie Joannes
Laurie Ratsianoharana
& Elisa Dallery
L’impact du port du masque sur les enfants de maternelle





L’école Gérard Philipe est une petite école maternelle et primaire située à Plaisir, dans les Yvelines, près d’une zone commerciale. Elle est fréquentée par des personnes de classe populaire ou moyenne. La maternelle est constituée de deux classes à double niveau : petite-moyenne section et petite-grande section. Je suis restée la journée complète du lundi dans la classe petite-section-grande-section maternelle, puis le lendemain matin, ainsi que le jeudi après-midi. J’ai beaucoup observé, tout en aidant les enfants dans leurs activités.

1. Observation

J’ai été très étonnée de ne voir aucune distanciation entre les enfants (3 ans à 5 ans) et entre les instituteurs et les enfants. Je les ai vus en effet les prendre plusieurs fois sur leurs genoux. Les enfants vont volontiers leur faire un câlin de leur propre initiative. Les adultes ne semblent pas réticents.
Les enfants se tiennent la main, s’entraident lors du parcours sportif du matin (qu’ils appellent « motricité »), se font des câlins. Ils touchent beaucoup d’objets sans craindre la transmission des microbes. Ils mettent leurs doigts dans la bouche. Aucune infrastructure n’a été faite dans la classe pour le COVID mis à part les affiches de respect des règles sanitaires (distanciation, lavage de main, jeter son mouchoir après une utilisation et éternuer dans son coude).
Ils font toujours autant d’activités manuelles. D’après les témoignages que j’ai pu récolter, ils ne semblent pas perturbés que les adultes aient un masque. Ils sont très calmes lorsqu’on leur lit une histoire. En fait, le masque a plus perturbé les adultes que les enfants. En fin d’après-midi, au Centre, à chaque prénom que l’animateur appelle pour la liste des présences, l’enfant doit aller se laver les mains. Le tout est fait de manière ludique.
J’ai surpris une discussion entre deux enfants de grande section lorsque la maîtresse avait évoqué les cas contacts de la classe (4 dans celle-là et 12 dans l’autre classe). « Le cas contact c’est quand on doit aller à… - un rendez vous ! - Oui, à un rendez-vous au ciel. » Il est clair que les enfants entendent les adultes parler et répètent ce que disent leurs pairs. En revanche, ils ont à peu près conscience de ce qu’est le covid mais ne réalisent pas vraiment les conséquences et les effets du virus.
Jeudi après-midi, nous avons fêté l’anniversaire de trois enfants nés en mars. Les bougies ne sont plus disposées sur le gâteau mais sur une boule de polystyrène.
MAÎTRESSE « Pourquoi est-ce qu'on met les bougies sur le polystyrène ?
ENFANTS, en chœur : PARCE QUE Y A LE CORONA !!!
MAITRESSE : Ouais, parce que comme ça s’il a le corona, il ne met pas ses microbes sur le gâteau. »

2. Témoignages

- Alain (AESH depuis septembre auprès d’un enfant de petite section), n’a pas perçu de changement dans l’interaction entre les enfants. Ils sont toujours aussi câlins, jouent ensemble dans la cour de récréation. D’ailleurs, dans cette école, lors de la pause, toutes les classes sont mélangées ce qui n’est pas le cas dans d’autres écoles. Alain est toujours proche des enfants et n'enlève donc jamais son masque, mais ne sait pas pour autant s’il y a eu un retard au niveau de la phonétique. La difficulté est néanmoins certaine. Les maîtresses enlèvent parfois leur masque, tout en s’éloignant pour les cours de phonétique. Pour les plus petits, la situation serait normale mais ils sont peut-être perturbés par le fait de ne pas voir les visages.

- Chantal (prénom modifié) est AESH depuis un an et demi à l’école Gérard Philippe. Pour elle, l’influence du masque est certaine. Il y a un retard très probable du langage « ils ne voient pas le visage, donc bon, c’est normal ». Elle n’a pas vu de changements particuliers dans l’interaction entre les enfants. Tout comme Alain, elle n’enlève jamais son masque (8h avec).

- Annabelle est ATSEM depuis mai dans cette école. Depuis le port du masque, elle est restreinte dans l’utilisation des mimiques et du sourire. Elle utilise alors beaucoup plus le langage des yeux (clin d'œil, cligne des yeux), sans que les enfants décident de l’imiter pour autant. Normalement, le contact avec les enfants est interdit mais c’est très dur de se restreindre car les enfants ont besoin de réconfort. Quand ils pleurent ou quand ils finissent la sieste, ils ont besoin d’un câlin ou ne serait-ce que de donner la main. Ces mesures de distanciation ne sont donc pas toujours respectées. Annabelle n’a pas noté de changements comportementaux dans leurs interactions non plus, ni même de retard pour la phonétique mais des difficultés certaines à cause du masque. Les maîtresses l’enlèvent parfois en s’éloignant. Les enfants ne semblent pas perturbés par le confinement, mais furent perturbés par les restrictions post-confinement : délimitation dans la cour entre les deux classes, interdiction de jouer avec les autres enfants ou même de se prêter les jouets, de se faire des bisous, de voir les adultes porter des masques (les enfants voulaient faire pareil à une période). En ce qui concerne le masque que les adultes portent, ce fut au début une visière mais Annabelle l’a gardé seulement une semaine car il faisait très mal au front. Ils portent maintenant tous des masques chirurgicaux.

- Delphine, AESH chez les petites et moyennes sections, trouve que les enfants ont été forcément surpris au début par le port du masque chez les adultes mais sont maintenant habitués. Pour apprendre les sons, les adultes enlèvent parfois leur masque en s’éloignant. Les enfants ne réalisent pas qu’il faut garder ses distances. Ils sont toujours aussi câlins et viennent vers les adultes. Ils « ont conscience sans en avoir conscience », c’est-à-dire qu’ils arrivent à faire les gestes barrières quand il faut, et notamment le lavage de main. Au premier confinement, les jeux dans la cour de récréation étaient balisés. La cour était séparée en deux pour que les deux classes ne jouent pas ensemble. Ils essayent toujours de ne pas les mélanger. Les classes ne sortent pas en même temps dehors.

- Nina (prénom modifié) est AESH à l’école Gérard Philippe depuis 2 ans. Elle n’a pas remarqué de changements particuliers dans le comportement des enfants. Elle ne pense pas qu’ils se rendent vraiment compte. Le retour en classe après le premier confinement était plus compliqué. Les enfants étaient d’ailleurs plus sérieux et respectaient les règles. Le masque est certainement une barrière car les enfants ne voient pas les lèvres bouger, malgré le fait que les maîtresses enlèvent leur masque de temps en temps. Elle, en revanche, ne l’a jamais fait. Selon Nina, les interactions entre les enfants et enfants-adultes n’ont pas changé. Elle ne pense pas que le masque ait joué un rôle car une partie des enfants connaissait déjà le visage des enseignant-es.

- Karine, institutrice depuis 20 ans et depuis un an à l’école Gérard Philipe, trouve que le masque n’a pas vraiment changé le comportement des enfants. Mais c’est les adultes qui en pâtissent le plus. En effet, les enfants entendent moins la voix et obtempèrent donc moins vite. Ils sont sûrement de fait plus bruyants. Le travail sur la phonétique est plus difficile et elle est obligée d’enlever son masque de temps en temps car les enfants ont besoin de voir les lèvres et le placement de la langue pour pouvoir prononcer les sons correctement. De plus, pour la lecture, l’institutrice doit plus forcer sur sa voix, pour donner des émotions et faire passer le message de l’histoire. En revanche, l’interaction entre les enfants ne semble pas perturbée, ni celle avec les adultes. Ils parlent un peu du covid entre eux mais pas plus que ça car ils ne réalisent surement pas. Ils n’ont aucune réaction face aux retours des cas contacts dans leur classe (contrairement aux élémentaires). Donc ne laissent paraître aucune crainte. Après le premier confinement, ils sont revenus par petits groupes de 5 en ayant un espace de 4m2 chacun. Il leur était interdit d’aller voir l’autre, ce qui était très difficile pour eux. L’institutrice devait se mettre physiquement entre les enfants pour qu’ils ne s’approchent pas les uns des autres. Ils ne pouvaient pas partager de jouets. C’était dur et surtout pas naturel. Certains enfants ne voulaient pas revenir à l’école à cause de ces mesures car en soit, la maternelle est une institution pour créer du lien social et non pour travailler. Le travail à la maison a rendu les connaissances de chaque enfant très inégalitaires. Un enfant reconnaissait 96% des lettres les années précédentes. Cette année, 76% étaient reconnues. Karine a réussi à récupérer le retard de tout le monde seulement en décembre. Elle devra donc faire l’impasse sur d’autres notions du programme comme les situations problèmes ou compter avec des nombres un peu plus grands. En somme, selon elle, il n’y a pas de retard particulier dû au masque chez les enfants. C’est seulement les enseignant-es qui ont des difficultés et doivent s’adapter.





J’ai réalisé mes observations à l’école Marceau de Vanves, qui se situe dans les Hauts-de-Seine (92), à la limite de Paris. La ville et l’école se caractérisent par une mixité sociale. Dans la ville, on peut observer des quartiers aisés, même très aisés, ainsi que des parties de la ville moins favorisées. L’école est publique, située à environ 500 mètres de la station Malakoff Plateau de Vanves sur la ligne 13, et accueille tous les profils d’enfants. Elle a été construite dans les années 1970-1980 et a été rénovée en 2005. Elle accueille environ 120 élèves répartis en 5 classes et jouxte un autre groupe scolaire public, l’école Gambetta, dont les locaux datent des années 1920 environ et qui accueille davantage d’élèves.
Les institutrices considèrent aussi que l’école est mixte du point de vue social, et les enfants qu’elles accueillent ont chacun une manière de fonctionner différente, mais qu’il est important de s’adapter à chacun.

1. Observation de la classe de Christina
Cette première classe est constituée de cinq enfants de petite section et environ dix-neuf de moyenne section, avec un équilibre entre le nombre de filles et de garçons.
Christina enseigne depuis vingt-sept ans, dont quinze ans en école élémentaire. Ses premières années d’enseignement étaient en ZEP, et elle a travaillé dans des classes de CP d’adaptation, pour des élèves en difficultés. En maternelle, sa pédagogie se fait par le jeu, elle travaille avec les enfants en ateliers, sa méthode de travail est très liée à la méthode Montessori qui repose sur la pratique du jeu, de l’expérimentation, des échanges et sur le développement de l’autonomie des enfants. Elle utilise la différenciation, c’est-à-dire qu’elle prend en compte toutes les difficultés des enfants et adapte le travail en fonction de chaque niveau. Cette méthode est plus facile à mettre en place en maternelle et permet de faire progresser les enfants à leur rythme. Elle travaille énormément sur le langage à travers des histoires, des documentaires, des évènements qui ont lieu dans l’école, cela s’inscrit souvent dans le cadre d’un projet. D’ailleurs, elle travaille plusieurs types de compétences sur un seul support, à travers un livre, par exemple l’album Poule rousse, elle va travailler la numération, l’écriture et les arts plastiques. Elle construit donc des ateliers autour d’un thème, qui peuvent être autonomes ou dirigés, souvent différenciés pour s’adapter à chaque niveau. En parallèle des ateliers, il y a des jeux libres, disposés dans la classe, comme la bibliothèque, les jeux de constructions, la cuisine (dinette), le garage, les puzzles. Ces jeux permettent aux enfants d’échanger librement, et favorisent leur imagination car ils sont libres et permettent que les enfants travaillent chacun quelque chose, comme par exemple l’imitation avec la cuisine, où ils vont reproduire les comportements de leurs parents et plus généralement les comportements qu’ils observent. Dans l’organisation de la classe, il y a aussi des séances de regroupement qui permettent aux enfants d’apprendre à s’écouter les uns et les autres, de créer un groupe classe, et ainsi les faire se sentir concernés en tant que groupe lorsque l’on s’adresse à la classe. Christina varie les ateliers et leurs sujets car il est important de diversifier les activités à cet âge-là. Enfin, elle utilise la motricité, car beaucoup d’apprentissages passent par le corps. Le jeu permet que les enfants aient moins l’impression d’apprendre et qu’ils ne soient pas lassés par le fait d’avoir une feuille devant eux et un temps pour remplir cette dernière.
Le changement majeur que l’institutrice observe chez les enfants depuis le confinement et le port masque obligatoire, concerne l’acquisition du langage : en général, elle n’est pas uniforme, mais elle est souvent avancée au deuxième trimestre, ce qui n’est pas le cas cette année. Cela crée un décalage, car certains enfants sont gênés pour sociabiliser et pour avancer dans l’apprentissage.
La vision du virus qu’ont les parents joue beaucoup sur le comportement des enfants, en effet, ceux dont les parents sont les moins sereins à propos de la situation (au point de les garder à la maison une semaine de plus après les vacances de peur qu’un élève ne soit positif au virus) sont beaucoup plus en conflit et isolés des autres. Les enfants uniques sont ceux qui ont le plus de mal à sociabiliser et à s'intégrer dans des groupes.
Dès mon arrivée, les enfants viennent me demander mon prénom et me donner les leurs. L’institutrice m’explique qu’un des plus gros changements qu’elle observe depuis qu’elle doit porter le masque est l’augmentation du volume sonore ; la classe est beaucoup plus bruyante par rapport aux années précédentes. En effet, le masque crée une barrière à la voix, elle est donc obligée de parler plus fort, et par mimétisme les enfants aussi.
Dans les rapports entre élèves, Christina m’explique que le masque et le confinement n’ont presque rien changé dans le développement des enfants. Les élèves, à la sortie du confinement étaient très peu nombreux, et avaient des difficultés à se retrouver, à être proches les uns des autres, mais aujourd’hui, ils parlent et jouent ensemble comme avant, sans préoccupation de la distanciation sociale. Elle trouve que les élèves sont très demandeurs de contacts avec les autres mais aussi avec le personnel éducatif. Entre cette année et les années précédentes, elle observe qu’ils sont beaucoup plus demandeurs de jeux, dans cette classe beaucoup de jeux de construction, mais aussi de dessins, coloriages…
Avec le masque, Christina a dû s’adapter, elle articule beaucoup plus, a l’impression de se mettre en scène, mimant chaque émotion. Elle utilise énormément la répétition dans l’apprentissage, encore plus avec le masque. Elle se montre parfois sans masque lorsque les enfants sont à l’extérieur et elle à l’intérieur, surtout en septembre car il est plus compliqué de créer un groupe de classe dans ces conditions. Parfois, surtout au début de l’année, elle utilisait de la visière (sans masque) quelques minutes, pour montrer son visage et elle a affiché des photos d’elle avec l’ATSEM pour que les enfants puissent connaître son visage. L’autorité passe par le regard et la voix, qui n’est pas plus forte mais dont le ton est plus autoritaire.

2. Observation de la classe de Nathalie
Cette classe est une classe d’environ 20 élèves de petite section qui sont les plus jeunes de l’école, elle regroupe tous les élèves qui sont né(e)s entre les mois d'août et décembre.
L’institutrice qui s’occupe de cette classe est Nathalie. Elle organise sa pédagogie autour de plusieurs points, dont deux principaux. Une première partie d’atelier dirigé où elle présente de nouvelles choses aux élèves, comme dessiner, écrire, compter, par exemple, et où elle les accompagne dans ces découvertes. En effet, le principe, à cet âge, est que les enfants acceptent de quitter l’état de bébé, pour découvrir ce qui constitue leur environnement proche, et qu’ils arrivent à classer ces nouvelles choses qu’ils découvrent, pour se structurer dans les apprentissages des années suivantes. L’autre partie est axée sur la découverte libre avec des ateliers permanents disposés dans la classe, où pendant toute une période, ils vont s’entraîner à appréhender de nouveaux apprentissages, comme par exemple, le découpage, la pâte à modeler, ou des expériences scientifiques. Enfin, elle travaille sur l’apprentissage et le développement du langage, qui s'acquiert à cette période.
Les différences observées avec les années précédentes portent ici aussi sur l’acquisition du langage, qui est plus compliquée pour certains enfants. Cela peut être lié à l’environnement familial, dans le cas par exemple de parents qui parlent à la maison une langue différente de celle apprise à l’école. Il est aussi possible qu’il y ait d’autres causes intra-familiales. L’institutrice et l’ATSEM m’ont ainsi expliqué qu’il était difficile d’intéresser certains élèves aux histoires.
Nathalie trouve que la classe est beaucoup plus bruyante cette année, car avec le masque elle parle plus fort et par mimétisme, les enfants aussi. Elle trouve que le masque crée une barrière relationnelle avec les enfants, c’est pour ça qu’elle ne respecte pas toujours la distanciation sociale : elle estime que le contact fait partie de son travail et que les deux ne peuvent pas être dissociés. Donc, si un enfant vient lui faire un câlin, elle ne le repoussera pas et si un enfant pleure, elle le prendra dans ses bras. Créer un groupe de classe, c’est-à-dire que les enfants puissent bien comprendre qu’ils font partie d’un groupe, a été plus difficile cette année, mais il n’est pas facile de savoir si cela est dû au confinement, au masque ou tout simplement si c’est lié à la composition de la classe, 4 filles et 16 garçons.
En dehors de ces changements, l’institutrice et l’ATSEM m’expliquent qu’elles ne remarquent pas vraiment de différence entre cette année et les précédentes. Dans cette classe, il y a les plus jeunes des petites sections, comme tous les ans, donc le fait qu’ils soient agités est normal.
Nathalie retire parfois le masque lorsqu’elle est plutôt loin pour expliquer les règles de la classe ou d’un travail, raconter des histoires, elle utilise aussi beaucoup le mime et ajoute des gestes à ses explications. De plus, elle est très expressive par ses gestes, on dirait qu’elle joue un rôle pour montrer aux enfants quand elle n’est pas contente de leur comportement, mais elle surjoue aussi ses émotions quand elle est contente d’eux. Enfin, elle montre beaucoup ses oreilles et yeux pour expliquer aux enfants qu’il faut écouter et regarder.

3. Observation de la classe d’Emeline
Cette classe compte sept enfants de petite section et environ quinze élèves de moyenne section.
Emeline a toujours voulu être enseignante, elle a fait des études de sciences du langage, qu’elle utilise encore aujourd’hui dans les méthodes d’apprentissage de maternelle. Elle a d’abord travaillé en école primaire, et s’est rendu compte que certaines difficultés pourraient se travailler et se régler avant ce niveau scolaire. Elle a ensuite occupé pendant deux ans un poste de réseau, de maitresse E, donc un poste avec une spécialité pédagogique, qu’elle a beaucoup aimé, pour aider les enfants qui ont des difficultés scolaires et qui ont entre cinq et huit ans. C’est à ce moment qu’elle a réalisé qu’en maternelle, les professeurs n’étaient pas que « prof de gommettes », mais que beaucoup de choses se mettaient en place, sur un plan comportemental, comme le harcèlement à l’école, ou les questions de genre, mais aussi sur le plan scolaire, par exemple la numération : si un enfant n’est pas à l’aise avec la numération en fin de maternelle, en CM2, il est possible qu’il ne soit pas à l’aise sur les problèmes numériques. Elle a donc demandé à enseigner en école maternelle et est arrivée dans cette école en 2005, et ne le regrette pas, car peu importe la fatigue, elle a l’amour des enfants. Le principal pour elle dans son métier est d’être bien avec les enfants, le monde extérieur ne compte pas. « Le monde, c’est la classe et en maternelle, leur (celui des enfants) monde, c’est leur classe »
Emeline préfère une méthode qui ne suit pas qu’une seule pédagogie, car elle pense que chaque enfant demande une pédagogie particulière. Elle s’adapte à chacun en élaborant des ateliers où les élèves vont devoir s'asseoir et faire un travail sur un support, pas forcément sur un support papier, mais aussi en proposant par moment plusieurs ateliers parmi lesquels les enfants vont choisir ce qu’ils veulent faire. Dans la semaine, elle alterne des périodes où il faut accentuer le travail sur les difficultés et les moments où les enfants peuvent s’épanouir dans une activité qui leur plaît. Lorsqu’elle prévoit un travail, elle doit prévoir les quatre ou cinq façons différentes de le faire que peuvent choisir les enfants. Il faut une diversité car la méthode dépend de chaque enfant et chaque classe, il faut s’adapter à chaque enfant. Les méthodes de travail qu’elle met en place sont souvent mises en commun avec les autres institutrices.
Dans la classe, l’institutrice garde toujours le masque et fait très attention au protocole sanitaire. Elle le retire parfois dans la cour en cas de danger à cause de la barrière à la voix qu’il crée, par exemple pour un enfant qui escalade la grille et qu’il faut appeler. Au début de l’année, avec le masque, les enfants avaient beaucoup de mal à comprendre qu’elle leur parlait et à se sentir concernés, surtout avec le manque des derniers mois de petite section où les enfants apprennent vraiment à devenir des élèves. Ils l’entendaient mais n’écoutaient pas ce qu’elle disait donc elle devait exagérer ses expressions et interrogeait les enfants sur ce qu’elle faisait « Regarde mes yeux, je suis contente ou je ne suis pas contente ? ». Il est difficile de savoir si cela est dû au confinement où justement ces élèves étaient en petite section, et n’ont pas pu bénéficier de cette partie de l’année où ils apprennent à se construire en tant qu’élèves, et où il commence à prendre conscience des adultes et des autres enfants.
L’utilisation du masque complique un peu l’apprentissage des sons et des phonèmes. Elle est obligée de le retirer pour montrer comment se prononcent les sons, quelle position de la bouche adopter. De plus, elle utilise la méthode Borel-Maisonny, qui associe un mouvement à chaque son (voir annexes).
Depuis le confinement, Emeline observe des différences avec les années précédentes, les enfants sont meilleurs en numération, ils ont probablement appris à compter avec leurs parents, mais cela diffère de l’apprentissage scolaire où l’on apprend le nom du chiffre, comment il se compte, comment il s’écrit… tandis qu’ici, les enfants ne connaissent que la suite des chiffres. Avec ces différences dans le travail, elle peut faire des choses qui sont plus compliquées plus vite dans l’année. Du point de vue comportemental, les enfants ont plus de mal à se supporter, des règles de vie en communauté dans la classe qui en temps normal sont acquises à Noël, ne sont toujours pas intégrées, comme par exemple, lorsqu’un enfant n’aime pas son voisin, il peut changer de place au lieu de le pousser. De plus, les enfants ont beaucoup besoin de la réponse immédiate ce qui était beaucoup moins le cas avant, pendant l’entretien, ils continuent à appeler leur institutrice pendant qu’elle parle avec moi pour quelque chose qui n’est pas urgent, cette situation se résolvait plus tôt dans l’année, les années précédentes. Elle a beaucoup de mal à savoir si ce retard relationnel est dû au confinement ou à la génération. Elle note aussi qu’ils sont beaucoup plus contents de se voir car l’école n’est quasiment plus que le seul endroit où les enfants se voient, les activités extra-scolaires étant pour la plupart suspendues.

4. Observation de la classe de Carole
C’est une classe de 24 élèves de grande section. La classe est beaucoup aérée, et l’institutrice respecte bien le protocole sanitaire.
Carole enseigne depuis vingt-sept ans, elle a toujours voulu faire ce métier et aujourd’hui est certaine que c’est sa vocation. Elle m’explique qu’au fil des années, avec l’expérience, elle s’imprègne de nouvelles choses pour gérer la classe. Elle essaye de toujours rester bienveillante avec les enfants, et trouve qu’elle a beaucoup de chance, car les parents sont très présents et l’aide beaucoup dans la continuité de ce qu’elle fait en classe. Elle accepte chaque réponse que lui donnent les enfants et accueille tous les sentiments qu’ils ressentent. Sa pédagogie évolue tous les ans, par exemple, cette année avec sa collègue Sophie, de grande section, elles travaillent beaucoup sur la production d’écrits et la compréhension des histoires, avec la méthode narramus, où les enfants enregistrent le vocabulaire, et sont amenés à expliciter l’implicite des histoires, et en déterminer la suite. Cette méthode a été choisie car elles ont remarqué des difficultés dans le vocabulaire des enfants.
Carole m’explique que le confinement a créé un gros décalage au niveau du travail, il manquait aux élèves le travail qu’ils n’ont pas vraiment pu faire durant le confinement. Le risque est que cet écart se creuse. Le masque n’a pas impacté les grandes sections, car les élèves connaissent l’école, d’une année sur l’autre il n’y a pas de changement d’enseignante donc excepté les nouveaux élèves, ils l’ont déjà tous vue, et ils connaissent son visage. Elle baisse parfois son masque lorsqu’ils sont loin car elle trouve important qu’ils voient quand elle sourit.
Entre eux, les enfants sont plutôt bienveillants et gentils les uns avec les autres, ce qui est surement dû au fait qu’elle a décidé de mettre la communication sur le virus au premier plan, sans dramatiser, notamment car dans sa classe, il y a une petite fille ayant une pathologie, qui doit porter un masque constamment. Pour elle, s’il y a peu de changement, c’est parce que l’école maternelle représente une sorte de normalité pour les enfants où la majorité des gens qu’ils voient, les autres enfants, ne portent pas de masques. Dans sa classe, elle trouve que les enfants prennent plutôt bien le masque même s’il lui permet moins de crédibilité dans l’exercice de l’autorité et demande de changer ses expressions et ses gestes. Dans mes observations, j’ai constaté que l’autorité de cette institutrice avec le masque passe beaucoup par l’intonation et non le volume sonore, elle s’aide beaucoup du regard.
Au début de l’année, elle respectait la distanciation sociale, et gardait constamment le masque, en dessinant des sourires et en mettant de la couleur ou des cœurs dessus pour dédramatiser la situation. La distanciation sociale et le masque étaient plus faciles à mettre en place car les élèves la connaissaient déjà tous. Elle rejoint ses collègues sur le fait que les plus touchés par la différence induite par le masque sont les moyennes sections, qui ont manqué une partie de la petite section où ils apprennent à devenir des élèves et où ils prennent leurs repères. Les petites sections ne subissent pas non plus de gros changements, le masque étant une normalité pour eux, en revanche les moyens subissent plus de perturbations : outre le port du masque, ils ont connu une période où leurs parents les accompagnaient en classe le matin, par exemple, or ce n’est plus le cas avec les mesures sanitaires. Dans la classe, j’ai pu observer que les enfants gardent un besoin de contact, et viennent spontanément faire des câlins à la maîtresse, et à moi aussi.
Carole m’explique aussi que selon elle, les changements à observer se verront davantage à l’école primaire, car la situation y est plus compliquée en raison du port du masque généralisé à partir de six ans. En maternelle les changements sont beaucoup moins visibles maintenant qu’en mai 2020, où les mesures prises étaient plus dures envers les élèves. Lorsque les enfants ont pu revenir en petit nombre, ils ne pouvaient toucher à rien, même le matériel ne pouvait pas être mis à disposition.
Les enfants se sont habitués aux masques, mais ils aimeraient retourner à la normalité. Carole pense que c’est finalement plus quelque chose qui dérange les adultes, les enfants ayant intégré les règles et étant beaucoup plus conciliants. Elle a parlé avec les enfants du virus plusieurs fois mais, selon elle, une fois aurait suffi. Les enfants sont plus touchés par le manque de la vie sociale d’avant, comme lorsqu’on fêtait les anniversaires en classe, que par le port du masque des adultes.
Le masque ne pose pas problème aux enfants, ils trouvent qu’il est normal et important de le porter pour se protéger. Une petite fille m’a aussi expliqué que le masque ne la dérange pas car la maîtresse est quand même belle avec.

5. Entretien avec Sophie

Je n’ai pas pu observer la classe de Sophie durant une journée contrairement aux autres classes, par manque de temps, je l’ai donc interrogée à propos du masque et des différences qu’elle observe entre cette année et les années précédentes.

Sophie est enseignante en grande section, elle a 23 élèves dont deux en situation de handicap qui nécessitent chacun l’aide d’une AVS. Sa pédagogie est axée sur la différenciation, c’est-à-dire qu’elle adapte ses méthodes de travail au niveau de chaque élève et sa pédagogie utilise beaucoup la répétition. Pour les élèves qui en ont besoin, elle simplifie les consignes des exercices.
Avec le masque, elle doit parler beaucoup plus fort, elle constate que souvent à la journée, elle est aphone et essoufflée, et lorsqu’elle choisit de ne jamais retirer son masque, sa classe a beaucoup de mal à suivre. Notamment dans le cadre des exercices de phonologie, ses élèves ont de gros problèmes de compréhension, elle est donc obligée de retirer son masque dans ces moments, afin que les enfants puissent voir ses expressions et sa bouche et le positionnement de cette dernière. Elle observe chez les enfants une grande excitation, ainsi que des grandes difficultés de concentration.
Sophie m’explique que selon elle, les séquelles que pourrait laisser le masque dans les années à venir résiderait dans la difficulté ou l’impossibilité des élèves à percevoir certains sons.
A la rentrée, après le confinement elle a dû reprendre le programme de l’année précédente, et une grande partie de la classe a réussi à rattraper son retard. En revanche, il y a quelques enfants qui ne sont pas suivis par leurs parents, qui n’ont pas réussi à le combler et pour qui le fossé se creuse avec les autres élèves. Cette situation nécessite qu’elle soit tout le temps à côté d’eux pour éviter un écart encore plus grand, tout en ne négligeant pas l’avancée générale de la classe.
Dans sa classe, il est difficile de savoir si la grande agitation et les conflits, qui sont apparus cette année sont liés au profil de la classe, car il y a beaucoup de garçons et que certains binômes se sont formés et rendent la classe plus agitée ou si cette attitude résulte de la situation actuelle. En comparaison avec la deuxième classe de grande section, cette classe est beaucoup plus bruyante et l’institutrice perd énormément de temps à demander du calme.
Pour les enfants qui présentent un handicap, lorsque les AVS ne sont pas là, l’institutrice doit systématiquement rester à leurs côtés pour les aider à avancer, car ils ont besoin d’avoir toujours quelqu’un avec eux.



Delphine est neuropédiatre et occupe plusieurs postes. Depuis environ vingt ans, elle travaille avec des enfants épileptiques qui ont de trois ans à l’âge d’entrée en sixième ou cinquième. Son deuxième travail est dans un centre pour enfants en difficulté scolaire. Enfin, depuis cinq ans, elle occupe un poste de psychiatre avec des enfants de deux à dix-sept ans, présentant des difficultés psychiques.
A propos des différences qu’elle observe chez les enfants depuis la crise sanitaire, elle tient à faire une nuance entre les enfants qui ne présentent aucune pathologie physique ou psychique particulière, et ceux qui présentent des troubles. Pour ce premier cas, lorsque les enfants ne n’ont pas de difficultés d’apprentissage ou autres, elle constate que les enfants ont bien compris l’intérêt du masque, et qu’il n’y a pas eu d’apparition de problèmes particuliers, en dehors de la lecture et du langage, pour les élèves de CP car avec le masque, ils entendent juste les sons et ne peuvent pas faire de lecture labiale, qui se fait naturellement et en parallèle d’habitude. En revanche, pour les enfants ayant des troubles psychiques ou des personnalités plus fragiles, la situation est plus compliquée. Delphine prend l’exemple des enfants psychotiques, pour qui le regard peut être très persécutant, or avec le masque, on ne voit que le regard ce qui peut s’avérer violent pour ces patients. Pour ne pas les déstabiliser, elle doit parfois tourner la tête pour leur parler. Le masque, a priori, ne semble créer aucun trouble particulier, mais peut donc accentuer les troubles déjà déclarés, ainsi que les angoisses liées à ses derniers.
Delphine prend toujours le temps de montrer sa tête avant de commencer une consultation avec un nouveau patient, pour que les enfants puissent associer son visage à son prénom et ne pas créer d’autres angoisses. Elle ne note pas forcément plus de demande de consultations, mais la demande dans sa discipline étant déjà grande, ce n’est pas forcément une preuve.
Delphine pense que dans l’avenir, le masque n’aura sans doute pas d'impact sur le plan psychique des enfants dont le développement est normal. Il pourrait avoir une répercussion sur les enfants de 3-5 mois, mais cette dernière sera minime sur les jeunes enfants et sur leurs vies futures et leurs interactions. Il pourrait y avoir des difficultés pour revenir aux interactions d’avant pour tout le monde.
Pour terminer, Delphine souligne que les enfants ont des capacités d’adaptation plus importantes que les adultes, et n’ont pas les mêmes angoisses, mais aussi que les adultes ont tendance à projeter leurs sentiments sur eux. Les enfants ressentent les peurs de leurs parents, ainsi que cette période où le temps semble suspendu. Du point de vue des enfants en crèche, il n’y pas de craintes à avoir sur leur développement, le cerveau à cet âge est extrêmement plastique et peut s’adapter. Ce serait plutôt aux autres, c’est-à-dire, les parents, les professeur(e)s, les professionnels de santé, de s’adapter et trouver d’autres moyens de communiquer et s’exprimer pour ne pas créer de problème de développement chez les enfants.
En conclusion, il est important de considérer que pour l’instant, dans le cadre d’une crise sanitaire qui a commencé il y a un peu plus d’un an, il ne devrait pas y avoir de conséquences futures sur le développement des enfants. Mais, d’après Delphine, si cette situation perdure dans le temps, par exemple une dizaine d’années, les conséquences seront beaucoup plus dramatiques.



Marion Cyprien est une Orthophoniste, elle travaille sur l’ensemble des communications : la voix, l’anatomie, le visage, parfois la déglutition. Elle travaille essentiellement avec des personnes atteintes d’un handicap. Ses patients ont alors des demandes spécifiques sur un spectre de la communication suivant leur trouble. En ce qui la concerne, ses patients sont pour la plupart atteints d’autisme. Elle a aussi des patients atteints de maladies neuro-dégénératives telles que Parkinson ou encore Alzheimer. Ils peuvent avoir des troubles oraux ou alors écrits, des problèmes au niveau de la lecture, de l’orthographe, du graphisme, de l’organisation de la pensée écrite… Elle prend en charge des patients de tous âges : actuellement, son patient le plus jeune à 5 ans et le plus âgé à 57 ans, il est atteint d’autisme sans déficience intellectuelle. Le patient le plus jeune qu’elle ait eu avait 13 mois. Elle travaille avec la mise en place d’outils de communication alternative et augmentative : des outils numériques, des cahiers de communication.
Actuellement, avec le port du masque, elle n’observe quasiment aucune différence, par rapport à la situation sans masque, sur la capacité attentive des patients. Elle n’observe pas de difficultés pour la qualité de l’interaction et de la réponse du patient. Elle n’a pas l’impression que les séances sont moins efficaces avec le port du masque, sauf avec les plus petits enfants, où elle constate un temps d’attention quelque peu raccourci. Mais avec les enfants elle ne peut pas prendre ses distances, elle est obligée d’être en contact et proche d’eux.
Le problème qu’elle constate le plus c’est lors des interventions de groupes auprès des plus petits. Elle nous dit que ce que remarquent les plus petits c’est l’intensité de la voix, la posture, les tensions du visage, etc., mais à cause du masque, ils ne remarquent pas tout de suite qui est l’émetteur de ce qu’ils entendent.
Pour contourner ce problème, les enseignants ou les adultes confrontés à ces difficultés, conseillés par Marion, rajoutent le langage des signes pour attirer l’attention des enfants et leur indiquer qui parle. Les signes peuvent permettre de ritualiser les moments de paroles par exemple. Ils utilisent la programmation attentionnelle.
Lors des séances avec ses patients, elle a trouvé des alternatives au masque en utilisant des masques sourires, des masques comportant une partie transparente qui laisse voir sa bouche. Elle les utilise avec les patients qui en ont besoin car ces masques n’ont pas la même capacité sanitaire que les masques chirurgicaux, mais cependant nécessaires à certains patients. Elle ne peut pas les utiliser avec les patients plus âgés par exemple. Elle les utilise pour les personnes sourdes ou qui ont un trouble de la compréhension sévère. Le fait de porter ce masque donne à peu près la même capacité attentionnelle, elle peut travailler de la même manière sur les indices du visage. Le patient peut à nouveau regarder et se concentrer sur le triangle yeux-bouche. Elle compense aussi en parlant plus fort. Pour les enfants un peu plus grands, qui ont des difficultés de compréhension écrite, elle enlève parfois son masque pour leur montrer la prononciation et la différence sans la transcription phonème - graphème. Avec les plus petits enfants, qui ont du mal à se concentrer, elle met des lunettes de couleurs ou elle colle des gommettes sur son visage pour attirer leur attention, pour appeler leur regard. Elle met du rouge à lèvres quand elle met son masque sourire pour bien rendre visible sa bouche.
Elle remarque un tout petit peu plus de patients depuis le début de la pandémie mais à court terme. Ce ne sont pas des patients qui ont des pathologies. Ces patients sont souvent des enseignants par exemple qui se plaignent d’une fatigabilité vocale : les gens ont une tendance naturelle à forcer au niveau de la voix à cause du masque.
Depuis le premier confinement plusieurs enfants se sont rajoutés à ses patients. Mais cela n’est pas lié au port du masque mais plutôt aux conditions éducatives dans l’éducation nationale. On voit de jeunes enfants (CP, CE1) pour des difficultés au niveau du langage écrit. Dans une situation normale, ce sont des enfants qui n'auraient pas eu besoin de venir consulter une orthophoniste. Ce sont des problèmes qui sont normalement corrigés par l’école. Ce sont des enfants qui sont arrivés en CE1 à la rentrée 2020-2021 sans avoir eu l’apprentissage nécessaire au CP dû au confinement début 2020. Elle a donc réservé 3 à 4 créneaux dans sa semaine pour ces profils et ça suffit pour corriger ces difficultés. Le risque est que si l’on ne prend pas ces problèmes à temps, le problème se cristallise chez l’élève et que le retard s’accumule. Elle ressent qu’il y a un besoin chez certains enfants de rattraper un retard pas encore totalement installé. Elle nous dit que ces enfants sont à la limite de la pathologie.
Mais en général, elle ne reçoit pas de demandes supplémentaires de patients présentant de réels troubles. Il faut aussi prendre en compte que cette orthophoniste reçoit des patients pratiquement tous atteints d’un handicap. De plus, il y a beaucoup de demandes, elle a environ 10 mois d’attente pour une prise en charge.
Plus généralement, il y a quand même des inquiétudes à avoir. On se pose notamment une question : comment faire en sorte que le port du masque n’ait pas d’impact sur les capacités interactionnelles et communicationnelles des touts petits aux plus grands ? Pour l’instant chez les plus grands elle n’a vu aucunes différences, ni chez les plus petits.
Les scientifiques s’interrogent surtout sur l’époque du babillage. Cette période de l’enfant de 6 à 9 mois est celle où l’enfant commence la prononciation des phonèmes par le schéma de visualisation des phonèmes chez les adultes. Ils commencent par reproduire les Pa, Ma, Ba puis Da, Ta, Na et Ca, Ga, La… Ils reproduisent les phonèmes de plus en plus reculés dans la bouche. Ils constituent tous leurs phonèmes en regardant la bouche de leur entourage. Le port du masque pourrait alors engendrer des difficultés dans la programmation motrice des phonèmes.
Elle se pose la question suivante : est-ce que ces touts petits enfants de 5 à 12 mois qui forment leurs phonèmes par le babillage par ce schéma de visualisation, qui sont confrontés aux masques plusieurs heures par jour, vont être impactés ? Si oui, comment faire ? Les masques transparents peuvent-ils être une solution efficace ? Aujourd’hui nous ne pouvons pas le dire, nous n’avons pas assez de recul sur la situation actuelle.
Une étude d’observation est en cours de préparation par d’autres orthophonistes auprès de l’UNADREO. Cette étude a révélée que rien ne permettait de conclure à un impact négatif du masque sur le développement du langage ou l’expression et la compréhension des émotions chez les enfants. Néanmoins l’UNADREO insiste sur le fait qu’il faut rester attentif et s’adapter à chaque patient, et chaque pathologie.
Marion Cyprien se demande si le port du masque a une importance si forte que cela entraînera des difficultés/des pathologies chez les enfants ? Elle ne pense pas qu’il ait une influence telle que cela va condamner, sacrifier ou toucher toute une génération. Les enfants se sont adaptés et ont adopté des moyens de compensations parce que les enseignants ont adopté des moyens de compensation.
Mais la question de l’adaptation se pose pour les personnes avec un handicap…C’est sa principale inquiétude.


En conclusion, les différences observées depuis la rentrée par les professeur(e)s et les professionnel(le)s de la santé ne dépendent pas que du masque, mais de facteurs psychologiques, physiques et environnementaux, que le masque peut amplifier. Le port du masque, s’il ne dure pas dans le temps, ne devrait pas laisser de séquelles sur les enfants qui ne présentent aucune pathologie pouvant créer un décalage avec les autres enfants. En revanche, les enfants présentant des psychoses, où le regard des autres est difficile à supporter, ou des enfants qui avaient des difficultés scolaires avant la crise sanitaire et le confinement, qui ne sont pas suffisamment accompagnés par leurs parents, ont plus de risque d’être affectés et de voir un décalage se construire progressivement avec les autres enfants.
Néanmoins, à plusieurs reprises dans nos observations, un point est revenu, celui de la l'acceptation du masque par les enfants, car ils ont intégré l'idée qu'il représentait une protection. De plus, lors de nos discussions avec les enfants nous avons pu remarquer qu’ils ne considéraient pas le masque comme une barrière et pour la plupart n’étaient pas dérangés par le port du masque par leurs enseignant(e)s.
Observations à l'école maternelle Gérard Philippe de Plaisir
Observations à l'école maternelle Marceau de Vanves
Entretien avec une neuropédiatre
Entretien avec une orthophoniste
Dana Al Subaihi
Elisa Dallery
Alphabet de la méthode Borel-Maisonny
Feuille de méthodologie inspirée par la méthode Borel-Maisonny envoyé aux parents lors du dernier confinement
Le monde pendant / le monde d'après