Le monde pendant / le monde d'après

Cela fait maintenant depuis Mars 2020 que le monde a entièrement changé. Le covid-19 a complètement mis notre mode de vie en pause. Plus de contact physique avec les gens, port du masque, gestes barrières... Notre cadre de vie ne s’est résumé qu’à l’environnement familial, aux visioconférences. Les seuls inconnus que l’on rencontrait c’était lors des courses, des balades dans un rayon d’un kilomètre et avec les réseaux sociaux.
Comment évoluer dans un monde tel que celui-ci ? Comment grandissent les enfants ? L’école a aussi été arrêtée de Mars à Juin et la reprise a été très compliquée au mois de septembre. Comment les enfants et particulièrement les lycéens dans cette étude, ont-ils réussi à garder un lien social durant toute la période de confinement et comment continuent-ils à avoir une vie sociale.
Je me suis donc intéressé à un petit lycée dans la campagne Bretonne : le lycée Joseph Savina à Tréguier. Un établissement regroupant environ 450 élèves de la seconde à la terminale ainsi que des BTS et possède un internat où environ 150 élèves vivent la semaine.

Tout d’abord le lycée est au coeur du bourg de Tréguier et plusieurs petits commerces sont à proximité : boulangerie, pizzeria, bar, tabac ...
Mais le lycée étant dans une petite ville n’est desservi que par quelques lignes de bus scolaire et ne permet pas un trajet simple vers les plus grandes villes aux alentours ( Saint-Brieuc, Lannion et Guingamp ).
Je suis donc allé à la rencontre des lycéens à leur sorti des cours dans un premier temps. Avec les simples questions : « que fais-tu comme parcours ? » et « Comment vas-tu ? ». Mon but n’était pas du tout de parler de « Monde d’après » avec eux mais de créer du dialogue. Ce sont les quelques lycéens qui m’ont répondu qui sont allés d’eux mêmes sur une discussion portant sur
« comment je fais pour aller bien ». Ce qui revenait souvent était « garder le lien avec mes amis, faire des soirées et se voir le plus possible ». C’est ainsi qu’un lycéen, Jules ( en terminale ), me parle des mercredi BDP. Il me raconte que dans ce lycée il est de tradition de se regrouper tous ensemble les mercredis après-midi sur la pelouse du Bois Des Poètes ( d’où BDP ) : un terrain au bord du fleuve, dans un parc à l’abri des regards. Je lui demande s’il est possible que j’assiste à cette « réunion » et je suis donc invité un mercredi à venir.

Le mercredi suivant je décide donc de me rendre à ce fameux Bois des Poètes. Sur une large pelouse je rencontre une trentaine de lycéens ( quelques premiers et surtout des terminales ). Certains sont assis dans l’herbe en train de discuter en buvant des bières, d’autres dansent et quelques uns sont sur un muret en train de mixer de la musique. Ils m’accueillent très facilement, plaisantent un peu et la discussion commence. Je me lance directement et leur demande comment ils font pour garder leur lien social. Après quelques secondes de silence, mon voisin, Alex ( en première ), me dit « Tu sais c’est beaucoup ici que l’on se retrouve, ici on peut ne pas porter de masques, discuter tranquillement, rigoler ensemble. C’est au BDP que l’on rencontre le plus de monde ! ». Tous m’expliquent alors que le lycée a choisi de séparer les classes en deux pour assurer les cours et ne pas dépasser les jauges demandées. C’est pourquoi ils n’ont tous cours qu’une semaine sur deux en présentiel et doivent assurer eux-mêmes leur temps de travail avec les devoirs fournis la semaine en distanciel. Dans cette semaine « creuse », ils ne peuvent pas sortir de chez eux, pas de visios pour suivre les cours donc pas de visage en dehors de ceux de leurs parents. Et surtout les classes ont été coupées en deux par ordre alphabétique, beaucoup d’entre eux se retrouvent donc sans leurs amis. Ils me disent que ce n’est pas dans un environnement masqué, a demi confiné et assis toute la journée que l’on rencontre et sympathise avec ceux de sa classe. Le Bois des Poètes est donc un lieu de retrouvailles et de communion avant tout. Ils y viennent pour se revoir et essayer de « vivre un peu comme avant » d’après Juliette ( en terminale ).

Je leur demande alors si le BDP est le seul endroit où ils arrivent à se voir. « Non, bien sûr que non ! » m’assure Axel ( en terminal ) « À Savina, avec le megashow, on peut quand même se voir au moins une à deux fois par semaine en dehors du BDP ». Le megashow est un festival de trois jours durant lesquels les élèves proposent une pièce de théâtre, du cirque, de la danse, des concerts et un défilé. Il est entièrement organisé par les élèves de A à Z. Axel me dit qu’entre toutes les répétitions, les réunions des « chefs megahow » ( les organisateurs ) et les discussions, ils arrivent à se voir et à rencontrer du monde. Jules m’explique que surtout cette année de très nombreux secondes ont voulu participer. Il y a une vraie connexion entre les élèves depuis les inscriptions en Novembre. Il continue en me racontant qu’avant cela il n’avait presque pas vu de seconde ou de nouveau de l’année. A ce moment tous acquiescent d’un « c’est vrai » général.
Au fur et à mesure j’entends à côté de moi une deuxième discussion sur les jeux vidéo, je me glisse alors dans le cercle et comprends que les lycéens parlent d’un jeu qu’ils font en ligne tous ensemble « Among us ». Un jeu multijoueur où il faut réaliser des tâches en groupe et essayer de débusquer un imposteur parmi les joueurs. Le jeu se joue chacun de son côté mais tous en même temps et parfois tout le monde se regroupe pour discuter et trouver l’anti-joueur. Ils me racontent qu’ils y jouent extrêmement souvent et que c’est comme cela qu’ils se sont rencontrés. L’un d’eux avait envoyer un message sur un réseau social pour inviter des inconnus à jouer et les autres y ont répondu. Depuis ils se sont rencontrés en vrai grâce au Bois des Poètes mais continuent de jouer pratiquement tous les soirs pour « Bien rigoler et avoir des trucs à se raconter ».

Nous continuons la discussion sur la place des réseaux pour continuer à parler entre eux. Dans leur discussion je comprends qu’ils possèdent tous au moins deux voire trois réseaux sociaux. Entre twitter, Instagram, snapchat et wathsapp, ils peuvent tous communiquer. Ils commencent à plaisanter sur « l’apéro zoom » qu’ils ont fait pour l’anniversaire d’une de leurs amies. Elle était cas contacte et ne pouvait donc pas aller au lycée ou au bois des poètes où ils auraient fêté son anniversaire naturellement. Leurs discussions se font donc aussi par des visios, ils utilisent les médias fournis pour le travail pour continuer à se voir quand c’est impossible. Je comprends aussi que ce n’est pas facile pour tout le monde, habitant dans la campagne Bretonne, certains n'ont pas une connexion suffisante pour participer à ce genre de réunions. D’autres ne sont pas très à l’aise avec ce genre de rencontre et ne parlent pas du tout non plus par message. C’est le cas de l’une d’entre eux , Lucie ( en première ) : elle ne discute pas par message et elle habite trop loin du lycée en temps normal pour voir les autres. Elle me raconte que quand elle est chez ses parents elle se sent très seule :pas d’internet donc pas de visio ni de réseaux sociaux, pas d’amis à proximité avec qui se balader, etc. Quand elle revient au lycée, à l’internat, c’est une respiration. Elle n’aimait pas beaucoup le lycée avant le Covid mais maintenant que c’est son seul lien avec l’extérieur c’est où elle préfère aller. Elle s’est rendue compte que le lycée était très important pour son bien-être physique et psychique. Le premier confinement l’avait presque anéantie : restée seule chez ses parents pendant plus d’un mois sans voir personne l’avait vraiment affectée. Ainsi pour garder le lien social elle voulait rester au lycée la semaine et a donc demandé l’internat pour cette année et elle a été acceptée.

C’est ainsi qu’au lycée Savina à Tréguier, les lycéens, pour ne pas perdre le lien entre eux, essaient de vivre « un peu comme avant » en se réunissant tous les mercredis sur la pelouse du Bois des Poètes ou BDP comme ils l’appellent, leur principal lieu de retrouvailles où ils peuvent vivre librement le temps d’une après-midi. Ils continuent aussi ainsi les « traditions saviniennes » avec le megashow. Avec un festival artistique lycéen et un parc, ils arrivent à se voir le plus possible en vrai en dehors des cours et des semaines de distanciel. Ils assurent aussi leur connexion grâce aux réseaux sociaux, ils ont même une part très importante dans leurs relations et leur permettent de rester en contact sans même se voir et trouver des partenaires pour des jeux vidéo. Mais cela n’étant pas vrai pour tout le monde et étant pour eux beaucoup moins chaleureux et sympathique qu’une vraie après-midi BDP, ils continueront de se voir par ce biais. Bien évidemment je parle ici d’une minorité des lycéens de Savina. Il doit y avoir mille et une autre façons de rester en contact pour les autres lycéens et pas seulement ceux de Savina. Mais certains souffrent réellement du manque de vie sociale comme Lucie et ont presque tout arrêté et se laissent emporter par des dépressions. Le lien social est donc une part très importante dans la vie des Lycéens et beaucoup ont réussi à s’adapter avec les nouvelles technologies pour le maintenir.
Garder le lien entre lycéens
Tanguy le Ny