Le monde pendant / le monde d'après
De la main à la fourchette... À la main.
Comment a changé notre façon de manger à l'extérieur pendant et après le covid ?

Avant de savoir comment a changé notre façon de manger à l'extérieur de son lieu de vie, nous allons d'abord aborder la première question que je me suis posée pour cette enquête... A quoi servent les restaurants ? Initialement, ils ont été créés pour être des lieux de rencontre et de convivialité. Il faudra attendre le 18e siècle pour les voir apparaître tels que nous les connaissons aujourd'hui. À l'origine, les restaurants étaient donc des lieux de rencontre et de socialisation. Mais en période de Covid, comment rencontrer des personnes, dans le cadre d'un repas ? Depuis maintenant un an, j'ai pu constater une nette augmentation d'organisation de repas en extérieur, sous forme de piques-niques. Comment expliquer le fait que les gens aient besoin de se retrouver autour d'un repas ?
Les repas sont généralement très organisés, et suivent un rythme et un ordre bien spécifiques : on commence par l'entrée, on continue avec le plat, et on finit par le dessert. Avec l'émergence de cette vague de piques-niques, nous avons vu les dynamiques du repas traditionnel bousculées. Aujourd'hui, on constate une sorte de retour à l'essentiel : plus de "décomposition" du repas, tout est disposé en même temps, sur le sol. Avec ce système, j'ai également observé l'abandon d'outils traditionnellement utilisés lors de repas, et un changement de posture : on passe d'une position attablé, assis, a d'autres positions assises, au sol. En effet, les couverts sont de moins en moins sollicités, et ce système laisse place à l'utilisation de nos mains. Pour permettre cela, les plats mangés se voient revisités, ou du moins adaptés à ces nouvelles contraintes : adieu les plats en sauce et bonjour la "street food". Mais si les gens utilisent de moins en moins la fourchette aujourd'hui avec un retour à l'essentiel, pourquoi cette dernière a-t-elle été inventée ?

La fourchette est arrivée en Italie, depuis l'empire byzantin, au XIe siècle de notre ère. Elle a ensuite été introduite sur les tables françaises par Catherine de Médicis, puis démocratisée par son fils Henri III au XVIe siècle. Aujourd'hui, il existe autant de fourchettes que de plats pouvant être dégustés avec cet outil. De la même manière, François Sigaut (1991) écrit un article intitulé "Un couteau ne sert pas a couper mais en coupant", expliquant qu'il existe autant d'utilisation d'un outil qu'il existe ce cultures, d'individus... Cependant, l'abandon de l'outil fourchette est de plus en plus d'actualité avec l'apparition de repas en plein air, et avec les piques-niques. L'une des clefs pour déguster son repas en extérieur est donc de réinventer la façon de manger. Plus rapide, et surtout sans outils, pour ne pas s'encombrer, le pique-nique a pour maitre mot : pratique !

Manger chaud pendant un pique-nique peut également s'avérer périlleux. Cependant, les gens continuent toujours de se retrouver autour d'un repas, qu'il soit chaud ou froid. Catherine Perlès (1987) écrit que c'est avec l'apparition du feu, et donc la possibilité de partager un repas chaud, les individus se retrouvaient pendant la Préhistoire. Mais, j'ai constaté que les gens ne se retrouvent pas forcément autour d'un repas chaud, mais autour d'un repas, tout simplement. On peut alors se poser la question de savoir si durant la Préhistoire, les individus se retrouvaient réellement autour du feu, ou bien si ces derniers ne se retrouvaient tout simplement pas pour partager un repas ensemble, comme le font les gens aujourd'hui? En somme, on pourrait se poser la question suivante : est-ce le feu qui a fait que l'Homme se sociabilise, ou est-ce le repas ? Mon enquête tend à prouver que ce serait le repas, mais les deux situations sont bien différentes, car se déroulent à deux époques diamétralement opposées, et par conséquent, les comparer n'aurait peut-être pas grand intérêt.
Finalement, dans un futur proche ou lointain, nous pourrions voir disparaître les lieux de restauration tels que nous les connaissons. De là naîtrait une sorte de restauration plus nomade, avec un développement encore plus important de systèmes de nourriture rapide et pratique, la street food (à ne pas confondre avec la junk food, bien que cette dernière fasse partie de la catégorie de la street food). Aussi, la nourriture servie dans ces nouveaux restaurants devra être conçue pour être prise à la main aisément, et nous forcerait par conséquent à ne plus, ou peu, utiliser d'outils pour se nourrir, comme dans certains pays. Enfin, si les restaurants tels qu'ils étaient il y a un an rouvraient leurs portes dans un avenir proche, des innovations émergeront pour les personnes voulant continuer a manger dans ces lieux de sociabilisation. Aujourd'hui déjà, des systèmes existent au stade de prototypes. Par exemple, un système de séparation des personnes grâce à des vitres en plexiglas a déjà été vu dans certains lieux de restauration. Cependant, nous pourrions nous demander quel impact ces frontières transparentes, presque invisibles entre les convives pourraient avoir sur le phénomène de socialisation ? D'autres innovations comme les masques nasaux, mis en place par des chercheurs mexicains pourraient voir le jour d'ici quelque mois ou années à venir (ces masques servent à éviter d'attraper le virus, mais pas de le diffuser, car il ne couvre pas la bouche. Par conséquent, il ne freine pas la propagation de l'épidémie car des particules de virus pourraient se trouver dans les assiettes à la suite d'un éternuement, une conversation...
Somme toute, ce qui est sûr c'est que la manière de manger hors de chez soi va très probablement subir de nombreux changements dans les années à venir. Le tout sera de voir quel impact social ces changements entraîneraient éventuellement, sans compter les très nombreuses innovations qui émergeront très probablement dans les années à venir pour essayer de se retrouver dans ces lieux que nous aimons tant.