Mars 2020 sonna le début d’une période de difficultés psychologiques et financières pour la majorité de la population française. La Covid 19 nous a tous poussés, autant que nous sommes, dans nos derniers retranchements. Cela étant dit, nous n’avons pas tous été égaux face à cette crise sans précédent. D’un appartement de 9m2 au sixième étage d’un immeuble parisien à la villa avec piscine en Normandie, tout le monde n’a pas fait face à ce phénomène mondial de la même manière.

Dans notre travail anthropologique, nous nous sommes intéressées à savoir comment les travailleurs et travailleuses du sexe ont vécu la crise. Dans un système qui les pousse à une précarité extrême, comment les TDS ont-iels vécu la crise sanitaire ? Cet événement mondial a-t-il conduit à un arrêt provisoire ou à un renouvellement de la profession ? Comment se réinventer pour survivre en temps de crise ?

Pour répondre à toute ces questions nous avons interrogé quatre travailleur-euses du sexe dont trois qui avant la crise travaillaient uniquement dans des rapports physiques et une qui par le biais de plateformes virtuelles, vend des photos à caractère fétichistes. Les travailleurs du sexe que nous avons intérrogés ne font pas du TDS leur activité principale et ne sont donc pas représentatif de tous.tes les TDS. Nous avons rencontré des situations contrastées mais qui ne couvrent pas l'entièreté de l’éventail de la vie des TDS durant la crise du covid. Ceci est un échantillon restreint de personnes.

La première personne que nous avons interrogée est Thomas, actuellement étudiant en région parisienne. Il a commencé le travail du sexe il ya quatre ans, suite à une première expérience inattendue. Un jour, après un rapport son partenaire l’a payé alors qu’il n'avait rien demandé. Il s’est donc rendu compte à la suite de cet événement que l'on pouvait le payer pour des prestations et a commencé à démarcher des clients sur des applications telles que Grinder. Généralement il commence à parler avec un homme, le voit une première fois pour une expérience gratuite puis lui propose de le revoir de façon rémunérée si la rencontre s’est bien déroulée. Etudiant, il reçoit une aide financière de ses parents et le travail du sexe ne lui sert qu’à financer ses loisirs et mettre de l’argent de côté. Il pense arrêter le TDS de manière régulière une fois entré dans la vie active mais songe à reprendre occasionnellement et considère que c’est un bon moyen de se faire des contacts.

La deuxième personne que nous avons rencontrée est Rosaé, iel est non binaire et a 24 ans et est travailleureuse du sexe depuis près de deux ans. Iel vit entre Paris et Rennes et est artiste en plus du TDS, iel a commencé le TDS par des prestations en réel puis s’est petit à petit mis(e) au virtuel. Iel fait sa promotion sur différents réseaux sociaux tels que Snapchat et Twitter. Iel est également présent(e) sur plusieurs sites comme MYM, ladyxena ou encore Vend Ta Culotte sur lesquels iel propose ses différents services. Rosaé propose: la vente de photos “nudes”, de vidéos, du téléphone rose, ainsi que des prestations en réel. Sur son MYM elle a entre 10 et 15 abonnés ce qui lui apporte un revenu mensuel fixe. Étant étudiant(e) et ne pouvant vivre de son art le travail du sexe constitue l'essentiel de ses revenus. Iel pense entretenir une forme d'activité dans le milieu tout au long de sa vie mais aimerait un jour faire passer l’art comme revenu principal.

La troisième personne que nous avons interviewée est Myah qui a 21 ans et a commencé le TDS il y a un an et deux mois, juste avant le début de la crise sanitaire. Son activité est celle d’être une sugar baby. Myah obtient ses clients via un site qui met en relation des sugar baby et des sugar daddy. Actuellement étudiante, elle reçoit une aide financière de ses parents. Cette activité est pour elle un complément de revenu. Les revenus qu’elle génère grâce à cette activité lui permettent d'améliorer sa qualité de vie, d'épargner et de financer ses loisirs. Elle compte arrêter cette activité dès lors qu'elle aura trouvé un autre emploi, probablement à la rentrée 2021 dans une association dans laquelle elle est pour l’instant bénévole.

La quatrième personne que nous avons contactée est Juliette, étudiante de 20 ans qui réside en région parisienne. Nous lui avons soumis un questionnaire sur ses activités qu’elle mène sur Twitter. Elle a commencé ses activités sur les réseaux il y a deux ans. Elle propose différents services tels que la vente de photos à caractère fétichiste de pieds et de la domination/soumission par téléphone. Jeune étudiante, les revenus qu’elle génère via ses activités lui servent de complément permettant d'améliorer sa qualité de vie. Ayant déjà diminué ses activitées sur les derniers mois, elle ne compte pas continuer toute sa vie. Actuellement, elle se concentre sur un petit nombre de clients réguliers et n’a pas formulé l’envie de s'arrêter dans l'immédiat.

Comme nous l’avons dit précédemment, après présentation de nos différents entretiens, ceci est un échantillon réduit de recherche est n’est donc pas représentatif de la vie de tous.tes les TDS. Cependant, des axes principaux et récurrents se sont dégagés de ces interviews.

Tout d’abord, les TDS font face à une insécurité omniprésente qui s’est renforcée durant la crise du covid. Toutes les personnes avec qui nous avons parlé nous ont fait part d’une peur constante de se prendre des coups, de se faire tabasser, de se faire violer. Les lois françaises étant très peu en faveur des TDS celleux-ci peuvent difficilement avoir des recours judiciaires après une agression. En effet la loi de 2016 quant à la prostitution sanctionne les clients des personnes prostituées et supprime le délit de racolage. Au quotidien, elle fait baisser les revenus des travailleurs du sexe et les met en danger. Thomas nous confiait considérer le viol comme un accident du travail. Les TDS doivent se fier à leur instinct et jauger les clients et le bénéfice/risque par message avant de se rendre à un rendez vous. Mais comment évaluer la dangerosité de quelqu’un à travers quelques mots ? Iels doivent trouver d’autres solutions afin d’essayer de se protéger du mieux possible, Myah, par exemple, donne toujours l’adresse de l’endroit où elle se rend à un ami avant d’aller sur le lieu, mais cela suffit-il vraiment ? En 2020 Médecins du monde a recensé 366 agressions envers des TDS, soit une agression par jour.

Myah : " Peu importe où tu vas, tu te demandes toujours si tu vas en sortir vivante."
Thomas : " Pour moi le viol est un accident de travail ."

A cela s'ajoute une insécurité vis à vis de la Covid 19. Les différents témoignages traduisent une certaine inversion de la tendance. Les clients, qui, d’ordinaire, craignent plutôt les maladies et les infections sexuellement transmissibles, se sont mis à avoir plus peur de la Covid que de ces dernières. Il y a eu durant la crise un recul majeur du port du préservatif et donc une forte augmentation des risques d’expositions au VIH et autres IST et MST. Les clients se sont mis à demander des rapports avec test PCR et port du masque mais en omettant le préservatif.

Rosae : “On m'a sorti "Tu portes un masque mais tu me suces sans capote".”

Un autre phénomène s’est également mis en place : la négociation. Thomas nous raconte que les clients s’appuient sur la crise pour justifier un manque d’argent et donc demander un tarif préférentiel. C’est à travers ce genre de pratiques que nous nous rendons compte que le travail de TDS n’est pas un travail comme les autres. Les clients se permettent certains comportements dans certains domaines professionnels qu’ils ne se permettraient pas d’en d’autres. Durant le confinement on a pu voir se faire des négociations dans le milieu du bâtiment aussi par exemple, négociation qui paraîtrait incongrue dans d’autres milieux. Les clients des TDS profitent de la précarité de ces dernier-ères pour obtenir certains avantages. Malheureusement avec la baisse notable de clients, il est parfois difficile de refuser une demande. Le premier confinement a en effet eu un effet dévastateur sur la clientèle des TDS. Les clients avaient peur de sortir et le risque d’avoir une amende prédominait. Après le premier confinement, la crise financière s’est faite sentir et la reprise a elle aussi été très dure comme nous l’explique Myah.

Myah : “La reprise a été très dure cet été les gens restaient craintifs, je n'ai eu que 3 clients sur juin, juillet, août”

Cela entraîne, comme nous l’explique Rosae, une marge de manœuvre moins grande quant à la sélection des clients.

Rosae : “Je me permets moins de sélectionner les clients car il y en a de moins en moins, je ne peux pas faire la fine bouche.”

Cette baisse de possibilité de travail physique a conduit à une effervescence de l’utilisation de plateformes en ligne telles que Twitter, Snapchat, ou encore les nouveaux “instagram payants”, Mym et Onlyfans. Ne pouvant plus autant voir de clients en physique, les travailleur-euses du sexe ont dû trouver un moyen pour pallier leur manque de revenus, et le virtuel s’est trouvé être une bonne alternative. Mym et Onlyfans sont des sites qui fonctionnent par abonnement ; chaque mois, suivant le nombre d’abonnés, vous touchez un revenu. A cela s'ajoutent les prestations particulières. Chaque abonné peut demander par message privé une vidéo ou une photo personnalisée selon ses désirs, et paye un complément. Rosae nous disait trouver des clients via son Mym qu’elle a créé juste avant le second confinement pour avoir un revenu complémentaire, en revanche, elle a fait le choix de leur faire parvenir les vidéo par Snapchat et les faire régler par Paypal pour éviter de perdre trop d’argent car ces plateformes prennent une forte commission. C’est donc toute une organisation pour essayer de garder un niveau de vie convenable. Parmi les gens que nous avons interrogés, tous ont une source de revenu complémentaire, mais pour des personnes dont cela serait l’unique source de revenu, la précarité est réelle.

Rosae : “Je me suis créée un MYM avant le second confinement ça a permis de combler mes revenus”

Cependant nous nous sommes rendu compte que le virtuel ne pouvait pas pallier dans tous les cas de figures. Rosae nous racontait que beaucoup de ses clients consommateurs de vidéos ou photos pornographiques étaient des hommes mariés. Le confinement les forçant à être chez eux le plus souvent avec femmes et enfants les empêchait de continuer à visionner son contenu et la demande de ce côté là a diminué. C’est également le cas de Juliette, qui vend des photos de pieds et entretient des rapports de domination/soumission avec ses clients. Elle nous explique qu’il lui est plus difficile de donner des ordres à des clients enfermés chez eux en famille. Juliette nous interroge aussi sur ce qu’est le TDS. Sans rapport sexuel peut-on légitimement considérer un travail comme du TDS ? Juliette est mitigée à ce sujet elle considère vendre ses pieds “que de toute façon tout le monde voit” et envisage les ordres qu’elle donne à ses clients comme des “services”. Cet étude nous amène donc à nous poser la question suivante : quand exactement commence le travail du sexe ?

Pour conclure, cette étude nous a montré à quel point nous avons été inégaux face à la crise sanitaire. Suivant la classe socioprofessionnelle à laquelle nous appartenons, nous n’avons pas dû affronter les mêmes problèmes. La crise a encore plus renforcé la précarité dans laquelle les travailleureuses du sexe se trouvaient déjà, amplifiée par la loi de 2016. La violence a augmenté ainsi que la transmission de maladies et d’infections sexuellement transmissibles. Malgré tout, les TDS ont tenté de se réinventer par l’utilisation des réseaux sociaux et des nouveaux “instagrams du porno” tels que Mym ou Onlyfans. Cette étude nous a également fait nous questionner sur ce qu’est le TDS : à partir de quand peut-on considérer que celui-ci débute ? Les questions et les débats concernant le TDS sont loin d’être clos. Beaucoup de solutions restent encore à trouver pour améliorer leur qualité de vie.


Camille Zeitoun & Coumba Sy
Avril 2021

Les travailleurs et travailleuses du sexe et la crise sanitaire de la Covid-19
Camille Zeitoun
&
Coumba Sy
Le monde pendant / le monde d'après